IA & RH #06 - L’IA a du talent (pour la gestion des talents)
Identifier, gérer et anticiper les compétences à l’ère de l’IA
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Parmi les news récentes concernant l’IA (et il y en a beaucoup !), une en particulier qui ne cesse de me trotter dans la tête : l’arrivée des agents IA dans notre entreprise. Une révolution dans la révolution ! Et je pense qu’on est loin d’en mesurer toute l’ampleur. Notamment sur la gestion des talents.
C’est une réflexion dont vous trouverez quelques passages dans l’excellent cahier de vacances de Skillup, consacré à la gestion des talents à l’ère de l’IA.
C’est l’un des avantages de mon métier, qui est de contribuer à ce genre d’initiative (qui en plus bat des records d’audience, on dirait que les RH ont besoin de vacances 😉) et d’apprendre au passage plein de choses, avec notamment la checklist de Victor Dupuy sur les questions à poser à un prestataire RH qui vous vend de l’IA dans sa solution.
👉 C’est par ici pour télécharger le cahier de vacances (version PDF gratuite)
Bref, cela m’a donné envie d’approfondir la question de la gestion des compétences, doublement bouleversé par la révolution de l’IA : d’un côté, les compétences ont une durée de vie plus limitée et évoluent plus rapidement. De l’autre, l’IA peut justement aider à gérer cette complexité. J’en parle plus amplement dans l’article du mois ! Et je vous parle d’une pratique presque magique (et sans IA) pour travailler efficacement sur l’évolution des postes en impliquant les équipes concernées.
Vous trouverez dans cette édition :
Quelques événements à venir sur l’impact de l’IA pour les RH (Webinaires, conférences, festival RH)
3 actualités IA & RH en bref : les agents IA, une mise en garde du CEO d’Anthropic et un rapport de PWC.
3 ressources qui vous permettront de mieux comprendre et utiliser l’IA
Un article de fond avec une nouvelle idée d’atelier pour envisager la gestion des talents avec une approche bottom-up.
Les prochains événements IA et RH
🎓 Dernières places pour atteindre les 7 000 inscrits à la 2ème édition du MOOC IA & RH by Unow qui a démarré début juin. Une session riche en nouveautés.
👉 Inscriptions encore ouvertes
(et l'accès aux replays des webinaires est ouvert, avec HOLIVIA, Jobsong & 365Talents)
🎤 Le "grand maître" (😅) Dr. Luc JULIA animera une Master Session "IA : faut-il tout réapprendre ?". Un événement inédit par Pollen, j'en serai :)
👉 Le 8 juillet à 8h45 à Paris (avec retransmission en live)
🎪 Le Festival RH de Maud Grenier approche, avec une programmation de dingue ! Dont un peu d’IA bien sûr.
Pour plus d’événements RH, voici un de mes derniers posts à ce sujet.
3 actualités IA & RH en bref
🗞️🤖 Les médias généralistes s’emparent de la question des agents IA avec une bonne dose de scepticisme : pour Le Monde, Marjorie Cessac revient sur la présentation de la plateforme d’agents IA commercialisée par Adecco et Salesforce. Et fait l’état des lieux de l’utilisation de ces agents dans le domaine du recrutement, par exemple.
Pourquoi ça concerne les RH ? Si « on entre dans l’ère du collègue numérique », comme le dit Emilie Sidiqian, la directrice générale de Salesforce France, c’est aux RH de gérer cette transition : comment travailler avec des collègues non-humains ? Comment gérer des ressources non-humaines ? Et enfin, quel impact sur les emplois ?
🏢📉 Dario Amodei, le PDG d’Anthropic, met en garde : l’IA pourrait entraîner une suppression massive et rapide d’emplois qualifiés dans les secteurs de la finance, du juridique, de la tech et du conseil, en particulier pour les postes juniors. Il estime que les entreprises pourraient arrêter de recruter ou de remplacer les salariés par des IA, ce qui déclencherait un chômage de masse presque du jour au lendemain.
Pourquoi ça concerne les RH ? Difficile de prédire ce qu'il va se passer, mais quand un dirigeant de l'IA alerte sur les conséquences même de son produit, c'est un signe important. Il préconise d'ailleurs la mise en place d’une "token tax" (taxe sur l’utilisation des modèles d’IA), avec un pourcentage des revenus redirigé vers des programmes sociaux et de reconversion. A suivre…
💰👩💼 Les salarié·e·s ayant des compétences en IA gagnent en moyenne 56 % de plus que les autres. Et 166 000 offres d’emploi liées à l’IA publiées en France en 2024. C’est ce que révèle, entre autres, l’AI Job barometer 2025 publié par PWC.
Pourquoi ça concerne les RH ? Le baromètre révèle des informations précieuses en ce qui concerne le bouleversement des compétences à l’ère de l’IA : Les compétences demandées dans les métiers exposés à l’IA évoluent 66 % plus vite que dans les autres professions – un bond considérable par rapport aux 25 % observés l’an dernier. Et pose de vraies questions en ce qui concerne la gestion des talents.
3 ressources pour mieux apprivoiser l’IA dans les RH
🏝️ Le cahier de vacances IA et RH dont je vous parlais en intro, issu de la collaboration de plusieurs acteurs RH : un mix de sérieux et de jeux avec des zooms sur les impacts de l’IA dans le recrutement, l'onboarding, la gestion de la formation et des talents, les assistants et agents IA et l'éthique / la RGPD.
🎧 Quand Luc Julia (pape de l'IA et concepteur de Siri) est invité dans le podcast de Pauline Laigneau et répond à Elon Musk, ça donne une discussion qui s’annonce passionnante.
📘 L’ANDRH et Wavestone viennent de sortir un rapport “Travail et organisations : ce que l’IA recompose”, avec la contribution d’une vingtaine de DRH.
La gestion des talents à l’âge de l’IA
En tant que lecteur·ice·s de cette newsletter, vous ne vous demandez plus « si » l’intelligence artificielle va affecter le marché de l’emploi, mais « quand ».
Et surtout « comment » nous, RH, pourrons mieux gérer nos talents avec éthique et efficacité. Quand même un dirigeant de l'IA (PDG d’Anthropic, cité ci-dessus) alerte sur les conséquences potentielles de son produit sur l’emploi, peut-être qu’il y a matière à s’inquiéter pour certains emplois. Sans aller jusqu’aux prédictions catastrophiques de Dario Amodei, on ne peut ignorer que les choses sont en train de bouger.
D’ailleurs, certaines entreprises intègrent déjà des agents IA dans leur organigramme ! On parle là d’agents autonomes, capables de gérer leurs périmètres à la manière de collaborateurs humains, et pas seulement d’assistants qui exécutent les tâches précises qu’on leur confie. Avec la possibilité, pour les RH, de gérer demain des ressources non humaines également… 🤯
Comment ne pas croire, dans ce contexte, que l’IA aura un effet profond sur la gestion des compétences en entreprise ? Incontestablement, les besoins des entreprises évolueront plus rapidement, à la mesure des progrès technologiques. La question des talents se pose donc avec plus d’acuité que jamais.
Compétences à durée limitée ? ...
Disons les choses comme elles sont : l’IA fait certaines choses bien mieux que certain·e·s d’entre nous. Rendant, de fait, certaines de nos compétences presque caduques. Et d’autres, qui étaient marginales, deviennent absolument cruciales. Il est encore plus compliqué de prévoir celles dont on aurait besoin, demain.
Même avant que les agents IA n’entrent en scène, l’IA a déjà un impact notable sur les métiers : certains sont globalement épargnés (le métier de boulanger), d’autres impactés (comme la gestion de projet) et d’autres encore sont menacés (comme la traduction ou le design). Avec de la nuance à chaque fois : le boulanger pourrait créer de nouvelles recettes avec l’IA, le chef de projet pourrait revoir totalement son métier et les traducteurs deviennent parfois des relecteurs et des interprètes, donc restent en partie des traducteurs.
Tout cela est complexe et relativement imprévisible.
… mais compétences plus faciles à gérer
Mais l’IA ne se contente pas d’ajouter de la complexité. Elle permet aussi de mieux la gérer 😃
Tous les RH connaissent le cauchemar de la GEPP: une vraie usine à gaz, des résultats si longs à obtenir qu’ils deviennent parfois caducs pile au moment où on s’apprête à les exploiter. A moins d’avoir trouvé la recette dynamique pour avoir une GEPP très dynamique.
L’une des conditions pour réussir l'exercice, c’est d’analyser un grand nombre de données, régulièrement. Or c’est là l’un des points forts de l’IA si elle est bien utilisée et si les données RH sont relativement accessibles, normées et à jour.
Et ça tombe bien, la donnée nécessaire à la gestion des talents est déjà stockée par la plupart des entreprises, même si elle est fragmentée entre plusieurs outils (notamment vos outils RH). Même si elle n’est pas très bien structurée, l’IA peut l’exploiter. Pour créer des fiches de postes, classées par métier jusqu’à la création d’un référentiel complet.
Bien sûr, il s’agira de valider manuellement les propositions de l’IA : la supervision humaine reste nécessaire. Avec l’implication des managers et des RH.
Pour Lobna Calleja, une experte du sujet que j’ai eu la chance d’interviewer pour le MOOC IA & RH, l’enjeu principal de la gestion des talents est d’identifier les trajectoires métiers et de les faire coïncider avec les priorités des entreprises. Cela consiste à se poser les questions suivantes :
Quelles sont les compétences dont j’ai besoin ?
Quelles sont les compétences disponibles au sein de mon organisation ?
Comment je comble le décalage entre les deux ?
L’IA permet de mieux y répondre en apportant de la granularité, de la structure, de la compétence et de la transparence, tout en évitant le piège de l'obsolescence. C’est de cette manière qu’elle permet d’obtenir une cartographie claire des compétences dans une entreprise. Avec une IA Générative (Mistral, Claude, ChatGPT) ce n’est pas simple mais faisable. Mais à ce niveau de complexité, c’est quand même mieux d’aller chercher des outils RH spécialisés. Surtout si vous avez plus de 100 salarié⸱e⸱s.
L’IA peut prévoir, mais pas décider !
L’IA ne se contente pas de regarder la situation au jour J. Elle peut aussi faire des prédictions, c’est-à-dire : se baser sur des données internes et externes, le présent et le passé pour se projeter dans le futur (comme l’exprime si judicieusement Lobna Calleja). C’est tout l’enjeu de l’IA prédictive (à distinguer de l’IA générative - j’en parle plus amplement dans le cahier de vacances de Skillup !).
L’IA échafaude différents scénarios pour nous renseigner sur les compétences qu’on aura a priori à disposition dans le futur, celles dont on aura besoin. Et elle nous suggère des moyens de nous procurer celles qui nous manquent : doit-on recruter ? former en interne ? prévoir des mobilités avec des métiers connexes ?… On appelle ça le Strategic workforce planning.
Le verbe « suggérer » est ici crucial : l’IA ne doit pas prendre ces décisions elle-même.
Rappelons que les décisions qui impactent le recrutement ou la carrière des collaborateur·ice·s ne peuvent être entièrement automatisées. Le droit social s’y oppose formellement. Et d’après le RGPD « les individus ont le droit de ne pas faire l’objet d’une décision fondée exclusivement sur un traitement automatisé et produisant des effets juridiques la concernant. ». De toute façon, je ne pense pas qu’on aurait intérêt à aller sur le terrain de l’automatisation complète : ces technologies ne sont pas fiables à 100%, leur valeur n’est pas de décider pour nous mais de servir d’aide à la décision.
D’ailleurs, sur ce dernier point, vos salariés ne sont probablement pas au courant. Ils pourraient croire que l’IA commence à décider en RH. Il est donc important de prendre le temps de démentir les raccourcis que font les médias généralistes, laissant croire, par exemple, que l’IA décide des augmentations salariales chez IBM. Une communication ouverte ainsi que des engagements clairs sont absolument nécessaires pour apaiser les inquiétudes dans ce moment de transition.
Une nouvelle alternative bottom-up
Le Strategic workforce planning a beau être efficace, il peut, dans certaines circonstances, donner aux collaborateur·ice·s l’impression d’être des rouages dans une mécanique qu’ils ne maîtrisent pas. Et peut renforcer les craintes pour l’évolution de leur carrière. Une approche trop descendante peut vite nuire à l’adhésion des équipes à la transition. Pourtant, la plupart des entreprises fonctionnent comme ça : prévoir des besoins futurs et trouver les solutions pour les combler.
Dans ce contexte, difficile d’écarter les craintes de chacun (peur de perdre son périmètre, de réduire les aspects les plus importants de son travail ou peur de perdre son emploi). Et quand ces craintes existent, il est très tentant pour les équipes de se protéger en altérant la réalité. Par exemple en ne déclarant pas le potentiel d’automatisation de certaines tâches de leurs métiers.
J’ai expérimenté une autre approche, que m’a inspiré Ludovic Chisloup d’Evocime il y a 2 ans : un atelier d’intelligence collective qui met les salarié·e·s à contribution. Plutôt que de se dire qu’on connaît déjà les impacts de l’IA sur les tâches d’un métier (donc de partir d’une connaissance préalable de l’IA), on part de la réalité des métiers et de celles et ceux qui les exercent. On ne parle pas d’IA. On parle de fiches de poste. Chaque collaborateur·ice·s divise ses tâches en 3 catégories :
Ce qu’on ne sait pas faire
Ce qu’on ne peut pas faire
Ce qu’on ne veut pas faire
À partir de cette matrice, on peut projeter une évolution de tous les métiers :
Avoir de l’aide (ou une formation) pour réussir à faire ce qu’on ne sait pas faire
Avoir enfin le temps et les moyens de faire ce qu’on ne peut pas faire
Déléguer ce qu’on ne veut pas faire
Et ce qui est particulièrement impressionnant lorsqu’on fait ces ateliers : les conclusions sont souvent un calque quasi-parfait des possibilités qu’offre l’IA !
Ce que les gens ne veulent pas faire… c’est souvent ce que l’IA sait bien faire (du répétitif). Résultat : en automatisant, ils gagnent le temps pour faire ce qu’ils ne pouvaient pas faire et pour se former à ce qu’ils ne savaient pas faire 😀
Cette approche bottom-up vous l’avez compris a l’avantage d’impliquer directement les équipes dans l’évolution des métiers. On a parfois tout intérêt à prendre le contre-pied des approches traditionnelles. D’ailleurs, commencer par les équipes RH est une bonne tactique pour se faire un avis sur cette démarche !
Le doute continue de planer sur le futur de la gestion des talents !
Des perspectives passionnantes s’ouvrent au sujet de la gestion des talents. Mais les choses sont loin d’être réglées, et il reste des zones d’ombres. Notamment : est-ce qu’on peut s’attendre à ce que les collaborateur·ice·s soient transparents sur la liste de leurs tâches réelles ? Ou est-ce que les craintes pour l’emploi (exacerbées par les annonces des patrons de l’IA, comme Dario Amodei) conduiront chacun à exagérer son rôle pour se protéger ? (spoiler, c’est déjà en train d’arriver !)
Comment repérer les angles morts quand l’IA prédictive manque d’information pour être assez fiable ?
Et en parallèle l’essor des agents IA pose de sérieuses questions :
Comment allons-nous collaborer avec des collègues non-humains ? Aujourd’hui, on travaille bien avec des logiciels. Si ce sont des agents, est-ce que ça change quelque chose ? Et surtout, quel impact sur les compétences ?
Plus généralement, comment les RH vont-elles “gérer” ces collaborateurs non-humains et leurs “compétences” ?
Mais finissons sur une note plus optimiste ! Parce qu’elle nous rend plus efficace dans la gestion des compétences, l’IA nous permettra, si on le souhaite, de rémunérer plus justement. Car à la veille de l’application de la directive européenne sur la transparence salariale (qui arrive à grand pas), il serait vain de créer ou mettre à jour des grilles de rémunération plus objectives sans avoir préalablement travaillé sur les métiers, les compétences et les niveaux. À ce sujet, je vous conseille ce numéro de la newsletter de Virgile Raingeard : même s’il est très sceptique quant à la rémunération par les compétences, il pense, comme moi, que l’IA pourrait être une clé.
Une question passionnante que j’espère traiter dans un prochain numéro. Et comme toujours, je suis très preneur de vos retours d’expérience.
J’espère que vous avez apprécié cette édition et qu’elle vous aidera dans votre quotidien RH. Et je compte sur vos feedbacks, quels qu’ils soient ;)
Pierre Monclos
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